mardi 24 janvier 2012

La méduse




C'est comme marcher sous la pluie dans Paris. La nuit. En écoutant une actrice chanter ( et quand il y en a plusieurs c'est forcément mieux ) mais pas n'importe laquelle. C'est toujours touchant d'entendre une actrice chanter. Cette sublime imperfection de la voix qui transcende la beauté même. 
Elle chantait et je regardais l'asphalte étinceler. De la laque noire. Son visage se découpait parfaitement dans cette chambre noire où je me noyais. Puis il y eut cette boucle qui encerclait son oeil. Comme un secret qu'elle ne sentait pas. Ce jour là, la pluie ne vint pas à temps. Peut être qu'à l'intérieur d'une voiture j'aurai été plus audacieuse. Sous la pluie. Truffaut avait raison. Comme toujours. Les acteurs s'abandonnent plus facilement sous la pluie. Ils se sentent protégés. ... peu importe. Je n'étais pas actrice et la prise était mauvaise. Ou plutôt inachevée. 
Son visage se découpait parfaitement dans cette chambre noire. Puis il y eut cette boucle qui encerclait son oeil et que j'aurai voulu caresser. Sans  bruit. Mon cerveau devint une méduse. Le bout de son doigt effleura ma main carbonisée. Quelqu'un empoigna ma chevelure et me tira violemment en arrière. Gros plan. Au sol. La nuque brisée. Du sang sur un damier. La pluie venait de s'arrêter et moi, de la rater encore une fois. 


Toni Frissell